Dans sa pratique de la photographie, du dessin et de la peinture, Mireille Blanc se concentre sur un certain type d’objets : gâteaux d’anniversaire, tissus moelleux, photographies d’archives et souvenirs kitsch. La topographie d’une maison de famille, comme vue à travers les yeux de la jeune protagoniste du film Petite Maman de Céline Sciamma. Mireille Blanc saisit aussi les efforts infimes déployés pour maintenir une image en vie. En même temps, elle accueille les événements fortuits et les distorsions tout en représentant le caractère périssable des images et le passage du temps. L’artiste, qui dessine depuis son enfance, a choisi l’atelier peinture aux Beaux-Arts de Nancy, et savait que c’était aux Beaux-Arts de Paris qu’elle voulait poursuivre ses études. Elle a intégré l’atelier de peinture de Philippe Cognée la même année qu’Eva Nielsen. Toutes deux sont restées des amies proches et participent aujourd’hui à l’indéniable résurrection de ce médium.

« Les gâteaux sacralisent un moment », m’explique Mireille Blanc tandis que je visite son atelier inondé de soleil situé dans la proche banlieue de Paris. Pour réaliser ses œuvres sur toile, elle s’immerge avec gourmandise dans son matériau de prédilection : la peinture à l’huile pure, non diluée. Sur une étagère figure une reproduction sur carte postale de L’Asperge d’Édouard Manet, une œuvre que le commissaire d’expositions Jean-Charles Vergne (qui a permis à Mireille Blanc de présenter sa première exposition monographique au FRAC Auvergne) qualifie de « résolument moderne ». Pourtant, Mireille Blanc n’a jamais peint un plat salé, préférant des mets à haute teneur en sucre pour ses natures mortes contemporaines. Son onctueux Château (2022), par exemple – une œuvre petit format exposée actuellement au MO.CO dans le cadre de l’exposition « Immortelle » organisée par le commissaire Numa Hambursin –, reproduit un gâteau au chocolat en forme de château composé de trois couches de crème recouvertes d’un glaçage et de vermicelles multicolores. Mireille Blanc ne nous montre pas seulement le gâteau. Elle nous montre aussi sa photographie, vestige d’un instant unique. Elle la réimprime, la retouche et l’accroche au mur de son atelier avec deux morceaux de scotch. Sur une toile qu’elle a découpée dans le même format que l’image-source, elle a peint ces deux bandes d’adhésif jaunâtre collées sur la bordure supérieure de la photo aux couleurs saturées, introduisant un effet de trompe-l’œil convaincant. Comme les gouttes d’eau ou les éclaboussures d’huile qui participent à ses autres compositions, Mireille Blanc se sert de son pinceau pour établir une distance entre l’œuvre et l’image photographique. « Il est important de signifier clairement qu’il s’agit d’une peinture. »

En jouant avec les apparences, Mireille Blanc parle de « brouiller » nos repères pour décrire la façon dont elle travaille avec les photos numériques qu’elle prend avec un simple téléphone portable. Ce mot se prête à la métaphore gourmande d’une assiette crémeuse d’œufs brouillés et peut également s’appliquer aux tournesols iconiques de Van Gogh imprimés sur un sweat-shirt, sur lesquels elle juxtapose la bandoulière d’un sac où est imprimé le logo de la marque Air Jordan. Mireille Blanc a photographié l’image-source de ce tableau grand format – Tournesols (2022) – alors qu’elle faisait la queue dans un parc d’attractions. Cette approche lui permet, en termes de composition, de conjuguer sa fascination permanente pour le peintre impressionniste et son attention au répertoire visuel du quotidien.

Une autre toile grand format intitulée Peau (2021), une nature morte sur laquelle elle a peint le clavier de son ordinateur portable, figure actuellement dans l’exposition Voir en peinture présentée au MASC des Sables d’Olonne. Dans cette œuvre, l’artiste a peint l’intérieur d’une épluchure de clémentine, reproduite pratiquement aux dimensions d’une figure humaine se prélassant au soleil. À l’instar de ses récents dessins au fusain tels que Meringue (2023), cette composition est inondée de lumière. Comme s’ils étaient éclairés par un flash à l’ancienne, les peintures et les dessins de Mireille Blanc repoussent toujours davantage les limites de l’exposition à la lumière, ce qui a pour effet de brouiller les lignes et d’atténuer les couleurs par un effet de désaturation.

Révélant les mythologies fragiles sur lesquelles se fonde la vie familiale, l’œuvre de Mireille Blanc se confronte également à des détails tirés de photos d’enfance et d’albums de famille. Dans Portrait (robe rouge) (2019), par exemple, l’artiste accorde autant d’attention, dans sa composition picturale, à la robe à volants immortalisée sur une photographie d’archives qu’à la façon dont l’image se dilue dans le reflet qui illumine la feuille de cellophane protégeant la photo. En même temps, le visage de la femme que la page plastifiée est censée protéger semble s’échapper du cadre. Le tableau intitulé Album 2 (Memphis) (2018) témoigne de l’absence d’un instantané retiré d’un album de famille. Mireille Blanc s’attache à rendre, avec son pinceau, la page vide sur laquelle ne subsistent plus que les coins transparents qui ont été autrefois méticuleusement collés sur l’album à l’aide d’une légère pression du pouce.

Car si, dans l’œuvre de Mireille Blanc, la figure humaine se dérobe à la vue, elle n’en hante pas moins les marges. Dans Élodie au masque (2011), l’artiste a pris pour point de départ une photographie de sa sœur enfant. Elle a peint les cheveux blonds de la fillette à grands traits et la nomme dans le titre, mais son visage demeure caché sous un masque de carnaval en papier, métaphore des années écoulées. Comme avec la poignée de bougies de cire fondues sur un gâteau d’anniversaire sucré qu’elle représente dans 5 ans (2021), Mireille Blanc zoome sur un moment de fête pour mieux nous montrer la tragédie du temps qui passe.

Lillian Davies
24 avril 2023

Née en 1985, Mireille Blanc a étudié aux Beaux-arts de Paris, dont elle est diplômée en 2009, et à la Slade School of Fine Arts de Londres (2007).
Mireille Blanc développe un travail de peinture, faisant appel à différents médiums (photographie, dessin).
Elle est représentée par la galerie The Pill (Istanbul), et Anne-Sarah Bénichou (Paris).
Son travail a récemment fait l’objet d’expositions personnelles à la galerie Anne-Sarah Bénichou (Paris, 2020), à la galerie The Pill (Istanbul, 2019), au FRAC Auvergne (Clermont-Ferrand, 2018), et d’expositions collectives à MO. CO La Panacée (Montpellier, 2023), Beaux-Arts de Paris (2023), MASC - musée d’Art moderne & contemporain (Les Sables d’Olonne, 2023), Centre d’Art ” A cent mètres du centre du monde ” (Perpignan, 2021), Galerie Praz-Delavallade (Paris, 2020), Musée Rolin (Autun, 2020), Lieu Unique (Nantes, 2019), Kunstwerk Carlhütte (Hambourg, 2019), Musée Crozatier (Le Puy-en-Velay, 2018), Musée des Beaux-arts de Dole (2017).
Mireille Blanc est lauréate du Prix Verdaguer (Académie des Beaux-arts, 2021) et du Prix international de peinture Novembre à Vitry (2016).

Historienne et critique d’art, Lillian Davies vit et écrit à Paris. Ancienne membre du corps enseignant de Parsons Paris et au Paris College of Art, auteur de la première monographie de mounir fatmi, coéditée par Skira et Flammarion, elle collabore régulièrement à Artforum et a rédigé de nombreux textes pour des livres et des catalogues publiés par Phaidon, JRP Editions, le Musée d’art contemporain de Lyon et le Museu Es Baluard, Palma.