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Virginie Yassef

by Samuel Gross

Virginie Yassef

par Samuel Gross

Man is an animal, art tells me.

Art must allow spaces to be pierced, galleries to be dug out. Thanks to art, at any time, we can escape by distinctly interpreting the depth of the cracks or faultlines in our shared spaces. As complex reality gathers in the density of things, it is a tool for perception that goes beyond the explicit. In contact with it, we can reappropriate reality in layers. And, if we follow artists, taking the paths that they illuminate, we certainly might no longer be only in the place where we’re expected to be. The space of our lives would resume its correspondence with that of our dreams, poetry, and thoughts. Our passage on earth would be the one that we’ve decided we’d like to have as a rhythm.

This sense of wandering and freedom lies at the heart of Virginie Yassef’s latest film. With Dunes, the artist commits us to pursuing the movement she initiated in an experience of week-long collective actions on the dune of Dewulf. Beings combine with animals and minerals. Places are inhabited, experimented with, and modulated. Space recovers its mysterious density.

Within this geography, what makes Virginie Yassef’s art so unusual is that she struggles against an image of her work that would remain frozen and unnuanced. She attentively reads all the traces that others have left around her, to develop escape routes. In what she presents to us with seeming nonchalance, there is a kind of contented absence. She seems as much here as already elsewhere. And the world is as sumptuous as her playgrounds. We follow her from a distance, for fear of breaking the tenuous but intense bonds that she weaves, without discontinuity between her and us.

As she walks on tiptoe, she inevitably shakes things up. A huge wooden plank falls in the gallery. A tree stump dislocates and blocks a street. She is this ingenious phantom who, despite appearances, does not entirely reassure us as to our ability to live together harmoniously. If the beings that we overlook are signalling to us by attempting to block our path, that may be because our acts are serious and our attention spans limited.

But, unlike others, for Virginie Yassef that is not a sign of human hatred. She gives us a chance to restore sensitive contact with memory and time. And so, when she was invited to participate at the Kampala Art Biennale in 2016, she decided to take tennis lessons to create a performance and a film (Ace). She thus made a bittersweet fable about English colonialism. The key to the fable is all the more powerful in its light-heartedness.

It is the power of the imagination that is explicitly at work in her show On a jamais vu de chien faire, de propos délibéré, l’échange d’un os avec un autre chien (No One Has Ever Seen a Dog, in a Deliberate Statement, Trade a Bone with Another Dog). In what the artist considers to be the second chapter of this project, Virginie Yassef even suggests the transformation of the narrator-child into a guide dog for visitors to her combined exhibition with Julien Bismuth Le signe singe (The Mimicked/Monkey Sign) at the Ferme du Buisson. For about an hour, the public could follow a big white dog and enjoy its companionship. The public followed the dog so as not to lose their way. The world thus once again became as vast as it was foreign.

Virginie Yassef does everything she can to make us want to follow her. She disperses traps and clues, leaves marks and defines pathways to encourage us to map out her freedom of movement. Clearly, she also leaves us for dust, since she seems particularly capable of escaping from anything that would make her life painful, formal, and dull. On this treasure hunt, the things she touches seem to have their own dimensions and lives.

Virginie Yassef makes art to flee boredom like an enemy, she says. It’s a serene yet tricky driver to maintain in a world of fast communication and inattentive perception. She fights to be able to continue to dream like an autonomous being, permeable to playful accidents and shared wonder: a loner who enjoys contact. In this, her fate seems shared with that of animals, who only seem to experience boredom when locked up in zoos. If we follow her, it is likely that we too might recover the creative sinuosity of our desires.

Samuel Gross, september 2023

L’homme est un animal, me dit-elle.

L’art devrait permettre de percer des espaces, de creuser des galeries. Grace à lui, nous pourrions à tout moment nous échapper en lisant distinctement la profondeur des failles de nos espaces communs. Comme la réalité complexe s’agglomère dans l’épaisseur des choses, il est un outil de perception allant au-delà de l’explicite. A son contact nous pouvons nous réapproprier le réel par couche. Et, si nous suivions les artistes, empruntant les voies qu’ils éclairent, nous pourrions sûrement n’être plus jamais uniquement là où l’on nous attend. L’espace de nos vies reprendrait sa correspondance avec celui de nos rêves, de la poésie et des pensées. Le temps de notre passage serait celui que nous voudrions bien avoir comme rythme.

Ce sentiment d’errance et de liberté est au cœur du dernier film de Virginie Yassef. Avec Dunes, l’artiste nous engage à poursuivre le mouvement qu’elle a initié dans une expérience d’actions collectives d’une semaine en groupe sur la dune de Dewulf. Les êtres se mélangent aux animaux et aux minéraux. Les lieux sont habités, expérimentés et modulés. L’espace retrouve sa densité mystérieuse.

Dans cette géographie, ce qui rend l’art de Virginie Yassef si particulier c’est qu’elle se bat contre une image de son travail qui se figerait sans nuance. Elle lit avec attention toutes les traces que les autres ont laissé autour d’elle pour élaborer des chemins de fuite. Dans ce qu’elle nous donne à voir avec une désinvolture apparente, il y a une sorte d’absence heureuse. Elle paraît autant là qu’elle est déjà ailleurs. Et le monde est aussi faste que ses terrains de jeu. Nous la suivons à distance de peur de rompre les liens tenus mais intenses qu’elle tisse sans discontinuer entre elle et nous.

Comme elle marche sur la pointe des pieds, elle bouscule fatalement des choses. Une grande planche de bois tombe dans la galerie. Une souche d’arbre se disloque et bouche une rue. Elle est ce fantôme ingénu qui, mine de rien, ne nous rassure pas complètement sur notre capacité à vivre ensemble. Si les êtres que nous ne remarquons pas se signalent à nous en tentant de nous boucher le passage, c’est peut-être que nos actes sont lourds et notre attention limitée.

Mais, contrairement à d’autres, ce n’est pas pour Virginie Yassef un signe de détestation de l’humain. Elle nous donne une chance de reprendre un contact sensible avec la mémoire et le temps. Ainsi, lorsqu’elle est invitée à participer à la biennale de Kampala en 2016, elle décide de prendre des cours de tennis pour réaliser une performance et un film (Ace). Elle réalise ainsi une fable douce-amère sur le colonialisme anglais. La clef de la fable est d’autant plus puissante qu’elle est légère.

C’est la puissance de l’imaginaire qui est explicitement à l’œuvre dans son spectacle On a jamais vu de chien faire, de propos délibéré, l’échange d’un os avec un autre chien. Dans, ce que l’artiste considère être le deuxième volet de ce projet, Virginie Yassef suggère même la mutation du narrateur-enfant en chien guide pour les visiteurs de son exposition en commun avec Julien Bismuth Le signe singe à la Ferme du Buisson. Durant environ une heure le public pouvait suivre un grand chien blanc et l’avoir comme compagnon. Le public suivait ce chien pour ne pas s’égarer. Le monde redevenait aussi vaste qu’étranger.

Virginie Yassef fait tout pour que nous ayons envie de la pister. Elle disperse des pièges, des indices, laisse des traces, délimite des voies pour nous encourager à cartographier sa liberté de déplacement. Elle nous sème, bien évidemment, tant elle semble capable d’échapper à ce qui rendrait sa vie pénible, formelle et ennuyeuse. Dans ce jeu de piste, les choses qu’elle touche semblent avoir leurs dimensions et leurs vies propres.

Virginie Yassef fait de l’art pour fuir l’ennui comme un ennemi, dit-elle. C’est un moteur serein et dĂ©licat Ă  conserver dans un monde de communication rapide et de perception inattentive. Elle se bat pour pouvoir continuer Ă  se rĂŞver comme un ĂŞtre autonome permĂ©able aux accidents ludiques et Ă  l’émerveillement partagĂ© : un solitaire aimant le contact. En cela elle partagerait son destin avec celui des animaux, qui ne semblent connaitre l’ennui qu’enfermĂ©s dans les zoos. Si nous la suivions, nous pourrions vraisemblablement nous aussi retrouver la sinuositĂ© crĂ©ative de nos dĂ©sirs.

Samuel Gross, septembre 2023

Palm Lights, 2019, Color video and sound, courtesy Galerie Valois, © ADAGP, Paris, 2023

Palm Lights, 2019, Color video and sound, courtesy Galerie Valois, © ADAGP, Paris, 2023

Virginie Yassef
Virginie Yassef

Virginie Yassef, is born in 1970, lives and works in Paris.

Virginie Yassef holds a graduate degree in visual arts from both the Ecole Nationale Superieure des Beaux Arts de Paris (ENSBA, the French National School of Fine Arts) and Sorbonne University. Furthermore, she completed a post-graduate degree at La Seine, which is a research program at ENSBA, and won a residency scholarship from the Vienna-based Quartier Museum in Austria and 4 months residency at Location One, New York in 2006. She recently received a residency support from CNAP to make a research in the Sami area (north of Norway).

In 2021, she is a laureate of the Commissioning of temporary and reactivatable works in the public space (CNAP) as well as of the production support of the Fondation des artistes (MABA) to create a new theather-installation set with Roberto Zibetti, and of the AIC, DRAC-ĂŽle-de-France. She is also a laureate of the Mondes Nouveaux programme from the French ministry of Culture. She presents a solo exhibition at Cap St-Fons, Centre d’Art Contemporain in December 2022.

She is represented by the Georges-Philippe & Nathalie Vallois gallery in Paris. Her work has been shown, among others, at the Art Center Galerie in Noisy-le-Sec (solo show), the Art Center La Ferme du Buisson in Noisiel (solo show with Julien Bismuth), the CRAC Alsace in Altkirch (solo show with Su-Mei Tse), The Jeu de Paume in Paris (solo show), the French Institute in New York (solo show) and at Granit in Belfort (solo show). She was invited to the Kampala Biennale (Ouganda) and she received the new settings support 2018 (Hermès) to work on a live piece “The Veldt” for the Theater of Amandiers (Nanterre). In december 2022, she has presented a solo show at Cap St-Fons, Contemporary Art Center.

Her videos, photographs, sculptures and installations reveal the poetry of everyday life, emphasizing the subtle gap between perception and reality. In the universe of Virginie Yassef, the strangeness, sometimes even supernatural, surfaces always where one would least expect it.

virginieyassef.net

Virginie Yassef est née en 1970 (France). Elle vit et travaille à Paris .

Virginie Yassef est diplĂ´mĂ©e l’École Nationale SupĂ©rieure des Beaux-Arts de Paris (Master et Post-diplĂ´me). Elle a prĂ©sentĂ© d’importants projets monographiques, notamment au Jeu de Paume Ă  Paris, Ă  La Galerie – Centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec, au Centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson Ă  Noisiel. Elle a signĂ© des participations remarquĂ©es Ă  « La Force de l’art 02 Â» » au Grand Palais ainsi qu’à plusieurs programmations officielles de « Nuit Blanche Â» Ă  Paris en 2011, 2013 et 2016. Ses premiers spectacles ont Ă©tĂ© programmĂ©s Ă  la GaĂ®tĂ© Lyrique (Paris), au festival tjcc du T2G et Ă  la Ferme du Buisson Scène Nationale de Marne la VallĂ©e. Elle a Ă©tĂ© invitĂ©e en rĂ©sidence pour la biennale de Kampala (Ouganda) en 2017. Elle a reçu le soutien de la Fondation Hermès pour le programme New Settings 2018. Dans ce cadre, elle a prĂ©sentĂ© en novembre 2018 un spectacle intitulĂ© The Veldt au théâtre des Amandiers – Scène Nationale Ă  Nanterre ainsi qu’à “Performance Day” au Centre d’Art Contemporain de la Ferme du Buisson Ă  Noisiel.
En 2021, elle est laurĂ©ate de la Commande d’Ĺ“uvres temporaires et rĂ©activables dans l’espace public (CNAP) ainsi que de l’aide Ă  la production de la Fondation des artistes (MABA) et de l’AIC, DRAC-ĂŽle-de-France. Elle est aussi laurĂ©ate du programme Mondes Nouveaux. En dĂ©cembre 2022, elle a inaugurĂ© une exposition solo au Cap St-Fons, Centre d’Art Contemporain.

Depuis 2002, Virginie Yassef est représentée par la galerie G-P & N Vallois à Paris. Ses œuvres ont été acquises par des collections privées et publiques (Frac Ile-de-France, Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Frac Languedoc-Roussillon, Frac Normandie Caen FRAC Grand Large - Hauts-de-France et MAC VAL Musée d’art contemporain du Val-de-Marne).

Ses vidéos, photographies, sculptures et installations révèlent la poésie du quotidien et soulignent les décalages qui viennent perturber la réalité, parfois de manière infime. Dans l’univers de Virginie Yassef, l’étrangeté et le surnaturel surgissent là où on les attend le moins.

virginieyassef.net

Samuel Gross
Samuel Gross

Samuel Gross (1976) is curator and art critic.
Exhibitions he has curated include: Sylvie Fleury, Istituto Svizzero, Rome (2019); Alfredo Aceto, Istituto Svizzero, Milan (2019); Martin Kippenberger, Fondazione Sant’Elia, Palermo (2018). Previously, he worked at Fondation Speerstra, Apples, as director (2012-2014); Galerie Evergreene, Geneva, as artistic director (2007-2012); and MAMCO, MusĂ©e d’art contemporain moderne, Geneva, as assistant (2004-2007). He obtained his Master’s degree from the University of Geneva in 2001. He was head curator of the Istituto Svizzero in Milan, Rome, Palermo from 2016 to 2020. Today, he is the curator in charge of the exhibition sector at the MAH, MusĂ©e d’Art et d’Histoire de Genève. There, he participates in the reflection launched on the future of the museum and its programming formats.

Samuel Gross (1976) curateur et critique d’art.
Parmi les expositions dont il a Ă©tĂ© le curateur : Sylvie Fleury, Istituto Svizzero, Rome (2019) ; Alfredo Aceto, Istituto Svizzero, Milan (2019) ; Martin Kippenberger, Fondazione Sant’Elia, Palerme (2018). Auparavant, il a travaillĂ© Ă  Fondation Speerstra, Apples, en tant que directeur (2012-2014) ; Galerie Evergreene, Genève, en tant que directeur artistique (2007-2012) ; et MAMCO, MusĂ©e d’art contemporain moderne, Genève, en tant qu’assistant (2004-2007). Il a obtenu son master de l’UniversitĂ© de Genève en 2001. Il a Ă©tĂ© le head curateur de l’Istituto Svizzero de Milan, Rome, Palerme de 2016 Ă  2020. Aujourd’hui, il est le curateur responsable du secteur des expositions du MAH, MusĂ©e d’Art et d’Histoire de Genève. OĂą il participe Ă  la rĂ©flexion lancĂ©e sur le futur du musĂ©e et des formats de sa programmation.

Beauty is still offered beyond what’s good or true. Independent of its explanations. Some people I love are constantly suspicious of beautiful things, especially in the arena of contemporary art, as if they were deceived. They’re right, so I am reminded when looking again at ValĂ©rie Belin’s brilliantly tempting art, one can never take the lie out of beauty. So gently is this candid lesson sinking in, looking at her perfect mannequins looking back at you, or confusing them with her China Girls, you wish to believe that something out of all the uncanny lookalikes or the eerily shining bodybuilders and crystals and bouquets is real, lest the alleged thinness of beauty would leave you with too little to hold on to. But ValĂ©rie taught me (like Oscar Wilde, or Claude Cahun) that some lies are not fake at all, some masks are all we wear. Just look at her photographs long enough, and don’t blink.

Valérie Belin, Noam Gal