Encre de calmar, mûre, sureau, bleu de méthylène, velours, soie, coton, plomb, chlorure de polyvinyle, charbon de bois, fleurs, safran, millepertuis, cire, aragonite bleue, voix, souffle - un bref inventaire de la matière du travail d’Adélaïde Feriot laisse entrevoir sa fascination pour l’expérience sensorielle de la vie et la sauvagerie de la nature.

La pratique de l’artiste est une exploration poétique et méditative de la relation entre les êtres vivants, les objets et les phénomènes naturels. Ses œuvres aux titres poétiques prennent la forme de tableaux vivants, de sculptures en plomb délicatement coulées et suspendues à du coton coloré, de somptueuses capes en velours et d’installations éthérées en soie teintées à la main par l’artiste avec un cocktail de pigments végétaux. Les œuvres d’Adélaïde Feriot fonctionnent comme des agents doubles, à la fois objets à exposer et engagés dans un dialogue actif. L’espace chargé entre l’objet d’art et le spectateur/performer est l’espace dans lequel le travail d’Adélaïde Feriot oscille librement.

L’artiste a tendance à ne pas travailler avec des interprètes professionnels, préférant des amis ou des connaissances avec lesquels elle ressent une affinité naturelle, qui apportent à l’œuvre leur propre énergie et l’imprègnent d’une charge spécifique. L’intuition est un élément central de son travail. Le son et le chant sont également importants, en particulier la puissance collective de la polyphonie. La représentation en direct de Regarder le Soleil (2019) impliquait ainsi un chœur accompagnant le coucher du soleil, tandis que Nuit Lavande (2019) capturait les voix et la respiration de 15 interprètes dans un ciel urbain nocturne et pollué.

Bien que basée à Paris, Adelaïde Feriot est originaire du Sud-Ouest de la France et garde un studio à cinq minutes de l’océan comme un moyen de conserver un lien étroit avec le paysage et l’environnement naturel. Les cieux célestes ont occupé une place importante dans son travail jusqu’à présent. Pour son week-end de performances au Centre Pompidou à la fin du mois de juin, l’artiste a créé deux nouvelles œuvres intitulées Aux Doigts de Rose I & II en référence à l’épithète d’Homère “quand l’aube aux doigts roses apparaît”. L’hommage de l’artiste à cette image des cieux du petit matin prend la forme de deux pièces, destinées chacune à une personne : deux généreux disques de velours de 5 mètres de diamètre conçus comme autant de tentatives de capturer les aurores boréales de l’hémisphère nord et les aurores australes du sud. Dans la doublure intérieure est inscrite une partition que l’interprète-habitant pourra interpréter.

Aux Doigts de Rose I & II a été habité en silence par deux interprètes dans les galeries des collections du musée, à proximité immédiate de l’œuvre de Mark Rothko, dans toute sa splendeur solennelle et méditative. L’histoire de l’abstraction se prête bien à ce que l’œuvre de Feriot soit insérée, offrant une invitation bienvenue - en cette année de toutes les années - à partager un moment fugace de contemplation et de rêverie.

Isabella Maidment, 2021

Adélaïde Feriot expérimente la possibilité du vivant dans l’espace et le temps de l’exposition. Gardant en tête l’idée troublante de l’automate, entre animé et inanimé, elle se voit comme un « accordeur de machines vivantes », et tisse ainsi des liens entre notre monde matériel et des mondes invisibles.

Elle réalise des captures de ciels, de saisons, de sentiments. Par un travail sculptural, qui sonde les matériaux, leur origine et leur symbolique, puis de mise en scène avec des interprètes, elle établit un échange entre corps et sculptures. Cela commence dès l’atelier avec son propre corps et se poursuit dans l’espace d’exposition, avec les corps vibrants des interprètes et des spectateurs. Elle offre ainsi à ses œuvres la possibilité d’un vivant sans cesse régénéré.

Née en 1985, Adélaïde Feriot vit et travaille à Paris. Après avoir suivi une formation théâtral à l’atelier Fanny Vallon, elle a été diplômée en design textile à l’ENSAAMA Olivier de Serre et en art à l’ENSBA Lyon. Elle a participé à plusieurs expositions collectives en France et à l’étranger : Centre Pompidou et Palais de Tokyo à Paris, Institut d’art contemporain à Villeurbanne, Kunstwerk Carlshütte à Budelsdorf, La Virreina à Barcelone, Centre national de la danse à Pantin, FRAC Bretagne à Rennes, Maison des arts de Laval à Quebec, Tabacalera à Madrid, CAFA art museum à Pekin, Centre international d’art et du paysage à Vassivière, galerie SamyAbraham à Paris, FRAC Lorraine à Metz, Artissima Lido à Turin.

https://www.adelaideferiot.com/

Isabella Maidment est commissaire d’exposition et historienne de l’art, spécialisée dans les performances d’après-guerre. Elle est titulaire d’un doctorat en histoire de l’art de l’University College de Londres. Dans son poste actuel de conservatrice de l’art britannique contemporain à la Tate, elle est responsable de l’organisation d’expositions et de présentations contemporaines et de l’enrichissement de la collection de la Tate par des acquisitions. Depuis qu’elle a rejoint la Tate en 2014, elle a travaillé sur le programme de performances de la Tate Modern, sur des expositions en direct et sur des commandes du Turbine Hall. Parmi les expositions récentes, citons : Anne Imhof : Sex à la Tate Modern (2019) et Lynette Yiadom-Boakye : Fly In League With The Night à la Tate Britain, qui sera présentée au Moderna Museet de Stockholm en juillet. Elle prépare actuellement une présentation solo de l’artiste et danseuse londonienne SEREFINA1369 qui ouvrira à la Tate Britain en septembre.