J’ai été profondément impressionnée par la pratique artistique de Fabienne Audeoud. D’abord en découvrant ses œuvres Parfums de pauvres au Palais de Tokyo, puis plus tard la même semaine dans son atelier où elle a créé une rétrospective miniature complète de toutes les expositions qu’elle a faites et a toujours voulu faire.

L’œuvre Parfums de pauvres consiste en une énorme collection de flacons de parfum bon marché portant des noms tels que Insanity, des copies d’originaux de marques de « haute-couture » trouvées dans des magasins de la région parisienne, en rapport avec les habitudes de consommation des personnes moins privilégiées des classes populaires. Dans une interview, Fabienne Audeod a déclaré que son intention était plutôt de demander si les équipes de créateurs ou les individus qui ont conçu Dispute, Solitude, British Emotion ou Insanity, pensaient qu’il s’agissaient de notions que certaines personnes aimeraient acheter et porter. Comment et pourquoi en sont-ils venus à considérer que ces idées étaient bonnes ou valables ? À qui entendaient-ils s’adresser et qui comptaient-ils séduire avec des termes aussi brutaux ? Savaient-ils vraiment que « Touz » signifie orgie sexuelle en français, ou ce que Nob-luck pouvait impliquer en anglais ? Ont-ils bien ri avec Coinci-dance et Untrue Lies ? “Les personnes avec qui j’achetais ces bouteilles semblaient se décider en fonction de l’odeur du parfum, mais je ne les ai jamais interrogées sur leurs choix.”

Au-delà des œuvres exposées au Palais de Toyko, j’ai été impressionnée par la rétrospective miniature qu’elle a elle-même construite. Il était troublant de voir comment des termes comme « travail », « pratique », « production » et « accueil » étaient remis en question dans la démarche de dresser le bilan de ses propres créations et de peut-être décider d’en faire sa dernière œuvre.

À la fin de mon séjour, je me suis rendue au Crédac, le centre d’art contemporain d’Ivry. Fondé en 1987, il est aujourd’hui situé dans une belle structure d’acier et de verre et serrait l’une des premières apparitions du fonctionnalisme en France.

L’exposition actuelle, intitulée J’aime le rose pâle et les femmes ingrates, est au départ une exposition collective de Sarah Tritz, qui a également rassemblé des œuvres d’artistes tels que Fabienne Audeoud, Alexandra Bircken, Liz Craft, Nicole Eisenman, Dorothy Iannone, pour ne citer que quelques noms sur une liste encore plus longue.

Dans ses travaux, Sarah Tritz utilise divers médiums et écarte l’objet domestique de sa fonction, qu’il s’agisse de jouets, de lits ou d’appareils électroniques. Dans l’exposition, de petites reproductions en papier d’ordinateurs portables opèrent presque comme des scènes miniatures où se déroulent des drames fictifs.

Dans la dernière salle de l’exposition, et bien qu’il ne s’agisse que d’une seule œuvre, et d’un tout petit dessin, j’ai été attirée par le travail d’Hélène Reimann.

Hélène Reimann, aujourd’hui décédée, était une femme aux multiples facettes. Mère de sept enfants, vendeuse de chaussures, artiste, malade mentale. Elle a été emprisonnée dans l’Allemagne nazie à la fin des années 1930, mais a réussi à s’évader. À la fin des années 1940, elle a été admise dans un hôpital psychiatrique en Bavière.
Elle y a passé le plus clair de son temps à dessiner et faire des croquis et elle a caché ses œuvres pour éviter que le personnel de l’hôpital ne les jette. Celle présentée dans l’exposition collective est un dessin de chaussures abstraites. Et c’est ce qui occupait le plus Hélène Reimann : dessiner sous forme abstraite et simplifiée des souvenirs des jours précédant son hospitalisation – nous voyons des objets de sa vie quotidienne qui semblent revenir tels des fantômes abstraits. Robes, chaussures, pieds, parties du corps.

Maurin Dietrich, 2019

Traduit de l’anglais par Elsa Maggion

Fabienne Audeoud vit et travaille à Paris, après une douzaine d’années passées à Londres et Masstricht. C’est après un MA en art à Goldsmiths College que sa pratique jusque-là essentiellement musicale se recentre sur les arts plastiques et se développe dans le contexte de la scène londonienne des années 90.

Son travail en collaboration avec John Russell a été montré dans de nombreuses expositions de groupe et personnelles (ICA Londres, Maccarone Gallery, NY…)
Ses vidéos, performances et peintures sont régulièrement présentées dans des espaces indépendants ou dans des institutions internationales telles que Tate Gallery, V&A Londres, MACBA Barcelone, CA2M Madrid, Modern Art Oxford, ICA London, Moderna Museet Stockholm, Bergens Kunstforening, Centre d’Art de Fribourf, IAC Villeurbanne, Villa du Parc Annemasse, Circuit Lausanne, Credac, Ivry, Palais de Tokyo, galerie High Art et Josef Tang, Paris.

Depuis 2017, elle a présenté des expositions monographiques dans les artist run spaces La Salle de bains, Lyon, Karst, Plymouth, Island, Bruxelles et Tonus, Paris.
En 2021, elle a reçu une bourse de Mécènes du Sud pour son projet Le magasin de pulls qu’elle a réalisé à Sète, Bruxelles et Marseille (Komplot / Art-o-rama) et plus récemment dans une deuxième version à Art au centre à Brest.

Elle prépare actuellement une exposition en trio avec John Russell et Dan Mitchell pour la Synagogue de Delme en février 2022 et sera en résidence à la Fonderie Darling à Montréal à l’automne 2022.

http://www.fabienneaudeoud.com/

Maurin Dietrich est directrice du Kunstverein München. Au cours des quatre dernières années, elle a travaillé au KW Institute for Contemporary Art à Berlin où elle a programmé des expositions et des cycles de performances. Maurin Dietrich a également fondé l’espace expérimental d’exposition « FRAGILE » à Berlin et publié dans CURA et Mousse Magazine. Elle a travaillé précedemment pour la neuvième Biennale de Berlin et pour Shir Concepts, un programme de résidences basé à Berlin et Tel-Aviv. Maurin Dietrich a étudié l‘histoire de l’art et la littérarure à la Freie Universität Berlin et été enseignante au sein du master art de l’université des arts (UdK) de Berlin.